LA DIPHTONGUE

Les études de phonologie historique des langues romanes (issues du latin) montrent que le phénomène de diphtongaison a été à peu près général, bien qu’il ait été plus important en italien et surtout en espagnol (voir par exemple : Tra latino volgare e italianoElementi di fonologia storica delle lingue romanze . , …).

C’est ainsi que dans une syllabe tonique ouverte, le e bref latin E est devenu [ɛ] puis [jɛ] en toscan, et concouramment le o bref O y est devenu [ɔ] puis [wɔ] :

Passage : latin > ancien toscan > toscan moderne (italien)corse
PEDEM > pede > piede [pj’ɛdɛ],pede [p’eðɛ]
HERI > eri > ieri [j’ɛri],eri [‘eri]
BONUM > bono > buono [bw’ɔno],bonu [b’onu]
HOMO > omo > uomo [w’ɔmo].omu [‘omu]

On distinguera ici le cas du E corse / IE italien et celui du O-U corse / UO italien

Extrait de  » La Corsophonie, un idiome à la mer » de Pascal MARCHETTI [D9]
C’est ainsi que, en ce qui concerne le vocalisme, le corse a constamment gardé l’ancien reflet sans diphtongue de E et de O : veni, bonu tel qu’on le rencontre encore sporadiquement dans les parlers toscans, et tels qu’il est documenté dans les manuscrits des auteurs du Trecento, notamment Dante et Pétrarque, lesquels, bien que déjà gagnés par la mode littéraire de la diphtongaison en ie et uo, donnent encore largement la préférence aux formes sans diphtongue. Le corse, à cet égard, ne connaît que le seul cas où le [e] < EST et celui de [‘era] < ERAT se diphtonguent quand ils viennent à se trouver sous l’accent syntaxique, et passent alors à [dj’e], [dj’era]à l’initiale absolue ou en position postonique, et à [j’e], [j’era] à l’intervocalique. on a de la sorte : ghjè [dj’e] è sempre sarà « cela est, et sera toujours », chì ghjè ? « qu’est-ce que c’est ? », ghjera [dj’era] ma ùn sarà più « cela était, mais ne sera plus », u focu ghjè [j’e] a morte « le feu c’est la mort », induv’ella ghjera [j’era] « là où elle était », de même que Dante écrivait dov’iera la gentile donna ch’era stata mia difesa (Vita Nuova, 9), employant dans la même phrase ERAT sous accent syntaxique, puis en position proclitique. Nous sommes en présence, dans ce cas très particulier, d’une conservation corse du toscan, qui n’a pas son équivalent en italien moderne. 

E corse <-> IE italien

Le corse a notamment, dans les conjugaisons à la première personne du pluriel (1PP) de l’indicatif présent (IP), gardé la forme non diphtonguée en -emu ou -imu de l’ancien toscan là où l’italien moderne a adopté la forme -iamo : simu – siamo – nous sommes, avemu – abbiamo – nous avons, vulemu – voliamo – nous voulons, …
C’est aussi le cas, parfois, à la 2PP de l’IP : site – siete – vous êtes.
Mais également dans certaines formes courtes de verbes conjugués (quelques exemples) :

tene [t’ɛ̃nɛ]tenere [ten’ere]tenirtenire (lat. pop.)
tenere (lat. class.)
teni [t’ɛ̃ni]
tene [t’ɛ̃nɛ]
tieni
tiene
tu tiens
il tient 
 
vene [b’ɛ̃nɛ]venire [ven’ire] venirvenire
veni [b’ɛ̃ni]
vene [b’ɛ̃nɛ]
vieni [vj’eni]
viene [vj’ene] 
tu viens
il vient
 

Liste non exhaustive de mots ayant subi la diphtongaison en italien.

CorsuItalianoFrançaisLatin
cecu /sm/ [ʧ’egu]cieco [ʧ’ɛko]aveugle (anc.fr. cieu, ciu)caecum
celu /sm/ [ʧ’elu]cielo [ʧ’ɛlo]cielcaelum
dece /a.num./ [d’eʤɛ]diece [dj’ɛʧi]dixdecem
decina /sf/ [deʤ’ina]diecina [djeʧ’ina]dizaine (anc.fr. dizeine) 
eri /avv/ [‘eri]ieri [j’ɛri]hier (anc.fr. ier, er)heri
fele /sm/ [f’elɛ]fiele [fj’ɛle]fiel fel
fenu /sm/ [f’ɛ̃nu]fieno [fj’ɛno]foin (anc.fr. fein)fenum
lebiu /a/ [l’ebju]lieve [lj’ɛve]très léger 
letu /avv/ [l’edu]lieto [lj’ɛto]tranquillement 
levità /v/ [lewid’a]lievitare [ljevit’are]lever (pâte)levare (lever)
lèvitu /sm/ [l’ewidu]lievito [lj’ɛvito]levainlevamen (pop. levure)
mele /sm/ [m’ele]miele [mj’ɛle]mielmel
pede /sm/ [p’eðɛ]piede [pj’ɛde]pied pes, pedis
petra /sf/ [p’edra]pietra [pj’ɛtra]pierre petra
sepa /sf/ [s’eba]siepe [sj’ɛpe]haie 
(anc.fr. sep, soif, soie, seif [E7])
saepes (sepes, saeps)
seru /sm/ [s’eru]siero del latte [sj’ɛro]petit-laitserum (petit-lait)
spetu /sm/ [sp’ɛdu]spiedo [spj’ɛdo]brochespitum 1
tèpidu /a/ [t’ebiðu]tiepido [tj’ɛpido]
/ tepido [t’ɛpido]
tiède (anc.fr. tieve)tepidus

1 : « (…) Et lorsque Schiaparelli veut rendre le spitas de notre texte par « spathas », il commet exactement la même erreur que commet le traducteur norrois de la Chanson de Roland’ quand il confond espee et espiet, à ce détail près qu’il s’agissait là de deux armes de guerre, tandis que les spitas de Uuarnefredus n’étaient que des spitosdes broches à rôtirspitum se retrouvant par exemple dans l’ombrien spito et le bergamasque spitspet. (…) » 
Extrait de texte pdf sur internet. Voir aussi dictionnaire étymologique italien en ligne.

O / U corse <-> UO italien

La diphtongue uo apparaît dans certaines formes courtes de verbes conjugués (quelques exemples) :

more [m’orɛ]morire [mor’ire]mourirmorire
mori [m’ori]
more [m’orɛ]
muori
muore
tu meurs
il meurt 
(anc.fr. morir)
 
pudè [puð’ɛ]potere [pot’ere]pouvoirpotere
poi [p’oi]
pò [p’o]
puoi
puo
tu peux 
il peut 
(anc.fr. podir, poeir)
 
vulè [bul’ɛ]venire [ven’ire] venirvolere
voli [b’oli]
vole [b’olɛ]
vuoi
vuole 
tu veux
il veut 
(anc.fr. voleir) 
 

Liste non exhaustive de mots ayant subi la diphtongaison en italien.

CorsuItalianoFrançaisLatin
bonu /a/ [b’onu]buono [bw’ɔno]bon (anc.fr. buon, buen)bonus
coce /v/ [k’o ʤ ɛ]cuocere [kw’ɔʧere]cuirecocere (<- coquere)
core /sm/ [k’orɛ]cuore [kw’ɔre]coeur (anc.fr. cuer)cor, cordis
dolu /sm./ [d’ɔlu]lutto (it.arc. duolo [dw’ɔlo] ) adeuildolus (<- dolor, oris)
domu /sm.Aj./ [d’ɔmu]duomo [dw’ɔmo]cathédraledomus
focu /sm/ [f’ogu]fuoco [fw’ɔko]feu (anc.fr. fou, feu)focus
fora /avv/ [f’ora]fuori [fw’ɔri]dehors (=fors 1 : anc.fr. foers)foris
lenzolu /sm/ [lɛndz’olu]lenzuolo [lentsw’ɔlo]drap de lit
(linceul : anc.fr. linçuel)
linteolum (linge) 
locu /sm/ [l’ogu]luogo [lw’ɔgo]lieulocus
move /v/ [n’owɛ]muovere [mw’ɔvere]mouvoirmovere
noce /v/ [n’ɔʤɛ]nuocere [nw’ɔʧere]nuire (anc.fr. nuisir)nocere
nora /sf/ [n’ora]nuora [nw’ɔra]bru (latin brutis)nurus
nutà /v/ [nud’a]nuotare [nwot’are]nager (anc.fr. nagier)natare (class.) / notare (pop.)
nutu /sm/ [n’udu]
(localement notu [n’odu])
nuoto [nw’ɔto]nage /n.f./ 
nova /sf/ [n’owa]nuova [nw’ɔva]nouvelle novus
novu /a/ [n’owu]nuovo [nw’ɔvo]neuf novus
rollu /sm/ [r’ollu]ruolo [rw’ɔlo]rôle 2 (anc.fr. rolle, roole)rotulus (rouleau, de rota roue)
rota /sf/ [r’oda]ruota [rw’ɔta]roue (anc.fr. rode, ruode, ruee)rota
scola /sf/ [sk’ola]scuola [skw’ɔla]école (anc.fr. escole)schola
scote /v/ [sk’odɛ]scuotere [skw’ɔtere]secouer (anc.fr. secourre)succutere
u so’ [uz’ɔ / uz’o]il suo [ils’uo]sonsuum
sòcera /sf/ [s’oʤɛra]suocera [sw’ɔʧera]belle-soeur 
(anc.fr. serorge du latin sororia)
socer, soceri (beau-père)
sòceru /sm/ [s’oʤɛru]suocero [sw’ɔʧero]beau-frère 
(anc.fr. serorge du latin sororius)
 
sola /sf/ [s’ola]suola [sw’ɔla]semelle (anc.fr. sole)solea
sonu /sm/ [s’ɔ̃nu]suono [sw’ɔno]son (anc.fr. suen)sonus
sora /sf/ [s’ora]suora [sw’ɔra]soeur, religieuse
(anc.fr. soer, seror, suer)
soror, sororis
u to’ [ud’ɔ / ud’o]il tuo [ilt’uo]tont(u)um, t(u)us
tonu /sm/ [t’ɔ̃nu]tuono [tw’ɔno]tonnerre (anc.fr. tuneire)tonitrus
torlu /sm/ [t’ɔrlu] (=tòrulu=tollu)tuorlo [tw’ɔrlo]jaune d’oeuftorulus
tunà /v/tuonare [twon’are]tonnertunare
omu /sm/ [‘omu]uomo [w’ɔmo]homme (anc.fr. omne, om)homo, hominis
ovu /sm/ [‘owu / ‘ou]uovo [w’ɔvo]oeuf (anc.fr. of, uef, oef)ovum

a : terme toscan archaïque utilisé en poésie (voir dictionnaire étymologique en ligne http://www.etimo.it).
1 : « Tout est perdu, fors l’honneur », mot attribué à François Ier lors de la défaite de Pavie.
2 : jusqu’au XVIIIe s., « rouleau », spécialement manuscrit roulé, liste, acte, puis par extension, texte appris par un acteur. [E6]

Comparaison avec l’espagnol

L’espagnol connait, plus que l’italien encore, le phénomène de diphtongaison.

CorsuItalianoFrançaisLatinEspagnol
cità /sf/ [ʧid’a]città [ʧitt’a]cité (ville)civitas, atisciudad
corpu /sm/ [k’orpu]corpo [k’ɔrpo]corpscorpuscuerpo
scola /sf/ [sk’ola]scuola [skw’ɔla]école (anc.fr. escole)scholaescuela

L’APERTURE DE E ET O

On constate que l’aperture du e et du o est souvent (voire toujours) opposée à celle de l’italien moderne.


LE TOSCAN MEDIEVAL ET LE CORSE

On constate que l’aperture du e et du o est souvent (voire toujours) opposée à celle de l’italien moderne.

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